Messe d’action de grâce du 10 octobre 2020
Si la grande journée anniversaire des 50 ans de la prépa de Sainte-Marie a du être reportée en raison de la crise sanitaire, une messe d’action de grâce a pu être célébrée le samedi 10 Octobre à 10h par Monseigneur Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, en présence de Madame Constance Le Grip, députée des Hauts de Seine et de nombreux professeurs, anciens … Occasion de remercier infiniment la Communauté Saint François-Xavier qui porte la prépa depuis sa fondation, et de rappeler l’actualité toujours aussi vive de cette formation exigeante par les humanités qu’est l’hypokhâgne. Les différentes prises de parole pendant cette messe que vous trouverez ici rassemblées célèbrent cette action de grâce et soulignent l’articulation intime entre le charisme et la mission de la Communauté Saint François-Xavier, et la finalité de la classe préparatoire littéraire : nous sommes dépositaires d’un trésor qu’il s’agit de faire fructifier. « Dans l’attention actuelle envers Celui qui nous rassemble, puissent la mémoire et l’attente s’unir et s’étirer en un même chant de gratitude pour les cinquante années déjà vécues de notre histoire et pour celles que l’Esprit continue d’écrire par la vie de chacun » (extrait du message adressé par Monseigneur Nicolas Lhernould, évêque de Constantine et d’Hippone en Algérie, promotion BL 1994).
Textes de deux anciens de la prépa, devenus évêques et empêchés de venir par la crise sanitaire:
Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes et lourdes (AL 1982)
“En raison des mesures sanitaires contraignantes, je n’ai pu venir célébrer la messe avec vous aujourd’hui. Mais en ce samedi 10 octobre ma prière vous accompagne. Je rends grâce avec vous pour ce que j’ai reçu en classes préparatoires à Sainte-Marie de Neuilly ; en particulier de la part de la communauté Saint-François-Xavier. J’y ai reçu une solide culture classique. Mais j’ai été surtout marqué par la possibilité d’un dialogue fructueux entre la raison et la foi à l’intérieur de cette culture. C’est encore ce qui m’anime maintenant. Que le Seigneur bénisse votre rencontre ! Je vous confie à Notre-Dame de Lourdes. »
Nicolas Lhernould Évêque de Constantine et Hippone Algérie (BL 1994)
“Chers amis, Paix et joie à vous tous ! J’aurais aimé me joindre à vous pour cette belle cérémonie, mais les frontières de l’Algérie, fermées depuis mi-mars, n’ont pas encore rouvert. C’est donc depuis Constantine et Hippone, la terre de Saint Augustin, que je vous suis proche dans l’action de grâce, en offrant aujourd’hui la messe en communion avec vous. Augustin disait dans les Confessions: “Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. […] Le présent du passé, c’est la mémoire; le présent du présent, c’est l’attention actuelle; le présent de l’avenir, c’est son attente” (Confessions, XI,26). Alors, dans l’attention actuelle envers Celui qui nous rassemble, puissent la mémoire et l’attente s’unir et s’étirer en un même chant de gratitude pour les cinquante années déjà vécues de notre histoire et pour celles que l’Esprit continue d’écrire par la vie de chacun. Bonne fête et bonne journée à tous !”
Homélie de Monseigneur Rougé Evêque de Nanterre
La béatitude de l’écoute, de la parole et de la mémoire
« Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » Comment ne pas gloser en ce jour sur la première béatitude qui vient d’être proclamée ? Oui, heureux l’établissement qui a nourri tant de jeunes et les a préparés à trouver, dans l’Eglise et dans le monde, le chemin du don d’eux-mêmes et du service fécond ! Heureux tous ceux qui ont pu profiter de classes préparatoires bienfaisantes, maternelles, constructives pour toute leur existence ! Comme dans l’Evangile, c’est vers la deuxième béatitude que mène la première : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ! ». Ces deux béatitudes ne sont pas en opposition l’une avec l’autre. La première, la béatitude selon la chair, prépare la seconde, la béatitude selon l’esprit, tant il est vrai que c’est Marie la première qui a accueilli la Parole et l’a gardée. Ainsi le mérite le plus profond des classes préparatoires de Sainte-Marie de Neuilly n’est-il pas de constituer un lieu de formation particulièrement prestigieux mais plutôt et surtout d’avoir introduit depuis un demi-siècle, de façon toute mariale, au bonheur d’écouter la Parole de Dieu pour la garder c’est-à-dire pour la transmettre.
1. « Heureux ceux qui écoutent ». Quelle grâce, pour des générations de jeunes d’avoir été invités et formés à une attitude d’écoute, de disponibilité intellectuelle, d’ouverture de la profondeur de l’être à des vérités qui les dépassent et qui les ouvrent à plus grand qu’eux-mêmes ! La grâce d’écouter, c’est aussi la grâce d’avoir des personnes à écouter, des enseignants, des maîtres, dont la richesse et la justesse de l’enseignement dilatent les intelligences et les cœurs. Cette écoute de l’étude et de la formation dispose à l’écoute par excellence, à laquelle ne cesse de nous inviter le Livre du Deutéronome, qui demeure le cœur de la prière quotidienne de nos frères et sœurs de la Première Alliance : « Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6, 4). Le bonheur d’écouter en disciples, d’avoir des maîtres, s’accomplit dans le bonheur d’écouter le Maître intérieur, d’écouter le Seigneur lui-même.
2. « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu ». Cette Parole retentit dans des mots humains. Quelle grâce de pouvoir connaître et aimer les mots – latins, grecs, français, anglais, allemands ou espagnols – les mots de la littérature et de la philosophie, les mots qui permettent de s’exprimer et d’élaborer un discernement construit et assuré ! Quelle grâce de pouvoir, au- delà des mots eux-mêmes, entrer dans les réalités vers lesquelles ils orientent, élaborer une véritable réflexion ! De même que l’écoute la plus profonde, c’est l’écoute du Maître intérieur, de même, tous nos mots humains renvoient au Verbe, au Verbe éternel, au Verbe de vie, au Fils unique en personne, en qui tout fut créé et par qui tout ne cesse d’être recréé. Cette Parole, ce Verbe, nous libère, nous l’avons entendu de la bouche de saint Paul dans la première lecture : il nous rassemble dans cette fraternité où « il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous [ne font] plus qu’un dans le Christ Jésus ». Cette fraternité selon le Verbe est le signe et l’ébauche du Royaume qui vient.
3. « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ! ». En classes préparatoires, on étudie non seulement les lettres et la philosophie mais aussi l’histoire. Comme il est bon de garder dans notre mémoire personnelle et collective ce qui nous a construits, ce qui a préparé ce que nous avons à accomplir ! Comme il est bon d’entrer aussi et davantage encore dans l’expérience biblique de la mémoire ! Une des expressions les plus graves du péché, c’est l’oubli, l’oubli de ce que Dieu a fait pour nous, l’oubli de notre origine et de notre vocation divines. Faire mémoire, « garder », n’enferme pas dans le passé. L’Ecriture nous apprend au contraire à faire mémoire pour vivre intensément le présent et ouvrir le chemin de l’avenir. C’est le beau paradoxe de la transmission, de la tradition, chrétienne : garder la Parole en la transmettant, garder la Parole avec d’autant plus de fidélité qu’elle est transmise de manière créative. Voilà pourquoi nous ne sommes pas réunis aujourd’hui dans la nostalgie, pour clore un cycle de cinquante ans, aussi beau et prestigieux soit-il. Nous faisons mémoire des merveilles de Dieu pour continuer à accomplir ses œuvres de manière sans cesse renouvelée.
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« Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ! » L’incarnation de cette béatitude durant cinquante années de Classes préparatoires à Sainte-Marie de Neuilly suscite aujourd’hui notre action de grâces. Les béatitudes sont nombreuses dans les Ecritures, dans les psaumes et dans les évangiles en particulier et pas seulement au début du Discours sur la montagne. Toutes se répondent les unes aux autres et orientent vers la dernière, celle qui retentit juste avant la communion en chaque eucharistie, l’action de grâce par excellence : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau ! » (Ap 19, 9). Voilà qui manifeste que les béatitudes sont toujours une invitation à aller de l’avant. Elles nous disposent à la vie éternelle où tout ce que nous cherchons ici-bas sera dévoilé dans la pleine lumière de la Résurrection. Tant que nous sommes en chemin, elles chantent le bonheur de l’avenir en train de se construire avec la grâce de Dieu. Beni soit Dieu pour l’œuvre béatifiante qu’il a accomplie pour vous et par vous ! Béni soit Dieu pour cette béatitude de l’avenir qu’il offre et confie à nouveau à votre communauté éducative, comme une espérance, une grâce et une responsabilité !
Action de grâce Laurence Mathias et Christophe Bourgeois
Laurence Mathias (Daniélou 1986, prépa Sainte-Marie de Neuilly BL 1986-1989)
Une inspiration de Madeleine Daniélou toujours actuelle : former une « élite de l’esprit » comprise comme « intelligence de l’autre »
Comme ancienne, comme professeur de philosophie, comme responsable de la prépa avec Christophe, je voudrais rendre grâce en votre nom à tous pour les 50 ans de la prépa et adresser notre vive reconnaissance et gratitude à la Communauté Saint-François Xavier.
Cette triple expérience de la prépa selon Madeleine Daniélou m’a permis, je crois, de comprendre ce qu’elle appelle l’importance d’une « élite de l’esprit » et d’en rendre témoignage. Une élite de l’esprit qui n’est pas une élite sociale ou scolaire à laquelle la prépa risque toujours de se réduire, mais l’exigence d’une intelligence de l’autre qui nous en rend responsable. S’il fallait pour moi dans cette action de grâce ne retenir qu’une formule de Madeleine Daniélou, c’est en effet celle qui définit l’intelligence comme « la faculté de l’autre ». Cette faculté, c’est bien celle que doivent apprendre à cultiver les étudiants de classe prépa littéraire, pas seulement eux bien-sûr, mais eux tout particulièrement : intelligence procurée par l’altérité du temps long, le décentrement opéré par les grandes œuvres de la littérature et de la philosophie, ou par le travail de la traduction, autant d’étrangetés que l’on s’approprie et qui rendent sensible, curieux et ouvert à l’altérité de notre présent. Cette faculté de l’autre, c’est bien aussi celle que nous devons comme professeur et responsable mettre en œuvre pour accompagner ces jeunes, discerner leur spécificité créatrice, déployer leur liberté propre.
Faculté de l’autre qui ne s’exerce qu’à l’écoute du Tout Autre, dans une spiritualité ignatienne qui accepte de continuellement interroger les certitudes à l’aune de la rencontre. Merci infiniment à la Communauté Saint-François Xavier d’avoir aidé chacun d’entre nous à cultiver cet élitisme de l’esprit.
Christophe Bourgeois Professeur de lettres en classes préparatoires
L’urgence aujourd’hui de faire fructifier ce trésor dont nous sommes dépositaires.
Ce n’est pas un hasard si c’est dans une communauté d’inspiration ignatienne que nos prépas littéraires ont été créées. C’est aux disciples de Saint Ignace, en effet, que nous devons l’une des plus belles synthèses occidentales pour la formation intellectuelle, la ratio studiorum, qui a su, au XVIe siècle, intégrer à l’étude des lettres sacrées celle des lettres profanes, les litterae humaniores comme on disait alors, nos Humanités. C’est bien pour réactualiser cette synthèse que Madeleine Daniélou s’est battue – elle qui fut le témoin douloureux d’un conflit entre science de Dieu et science humaine – et ces classes créées il y a 50 ans ont témoigné auprès de nombreux jeunes que l’intelligence est une. La présence, ce matin, au-delà du cercle des anciens, des amis et des soutiens de nos classes en témoigne aussi. Merci à vous, chères amies de la communauté Saint-François-Xavier d’avoir eu cette énergie et cette audace et de l’avoir communiquée sans relâche à cette communauté enseignante que vous avez formée.
Cette tâche n’a rien perdu de son actualité. Plus que jamais, il faut, pour l’Eglise d’abord, convaincre des jeunes que les raisons de croire – aussi nombreuses fussent-elles – ne dispensent pas d’approfondir le travail de la raison et engagent au contraire à explorer tous les domaines du savoir humain. Plus que jamais, pour nos sociétés, il faut que des jeunes, croyants ou non, se forment à l’école de ces litterae humaniores : face aux simplifications qui caricaturent le réel, face à nos peurs et nos chimères collectives, qui risquent de paralyser notre élan vital, face à ce qui défigure la liberté et la dignité de l’homme, nous avons besoin de ce que nous apprennent les grands auteurs, cette « faculté de l’autre » qu’a si bien évoquée Laurence Mathias, cet art des nuances, cette capacité à subordonner nos impératifs techniques ou économiques à la question des fins et des valeurs, et peut-être plus encore ce goût des vraies beautés qui nourrit l’espérance…
Faire mémoire des bienfaits reçus, c’est aussi et toujours prendre conscience de ses responsabilités. Ce trésor ne nous appartient pas ; nous n’en sommes pas les héritiers mais les dépositaires : puissions-nous, anciens et enseignants, non seulement le garder précieusement mais le faire fructifier. C’est la plus belle marque de gratitude que nous pouvons vous adresser, chères sœurs de la communauté Saint-François-Xavier, l’action de grâces la plus juste.
D’un cinquantenaire … à l’autre :
Un signet anniversaire a été remis à chacun sur lequel était inscrite cette phrase de Madeleine Daniélou : “Quelle que soit votre vocation, n’oubliez jamais qu’une petite parcelle du Royaume vous est confiée ». Comme nous l’a expliqué Marguerite Léna la fin de la messe, « c’est la dernière phrase de la dernière distribution des prix à laquelle Madeleine Daniélou présida, en 1956 (elle meurt en octobre de la même année ). Cette phrase a été reprise dans l’homélie de la messe solennelle du “Cinquantenaire”, au Gaumont Palace, le 2 février 1958, par le P. Laplace sj, et une image contenant la partie en gras de la phrase nous a été distribuée à la sortie de la messe. Ce cinquantenaire marquait le 50ème anniversaire de la création, rue Oudinot, de l’Ecole Normale Libre, première “oeuvre” de Madeleine Daniélou et ancêtre des Classe Prépa ! »