Homélie de Monseigneur Rougé Evêque de Nanterre
La béatitude de l’écoute, de la parole et de la mémoire
« Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » Comment ne pas gloser en ce jour sur la première béatitude qui vient d’être proclamée ? Oui, heureux l’établissement qui a nourri tant de jeunes et les a préparés à trouver, dans l’Eglise et dans le monde, le chemin du don d’eux-mêmes et du service fécond ! Heureux tous ceux qui ont pu profiter de classes préparatoires bienfaisantes, maternelles, constructives pour toute leur existence ! Comme dans l’Evangile, c’est vers la deuxième béatitude que mène la première : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ! ». Ces deux béatitudes ne sont pas en opposition l’une avec l’autre. La première, la béatitude selon la chair, prépare la seconde, la béatitude selon l’esprit, tant il est vrai que c’est Marie la première qui a accueilli la Parole et l’a gardée. Ainsi le mérite le plus profond des classes préparatoires de Sainte-Marie de Neuilly n’est-il pas de constituer un lieu de formation particulièrement prestigieux mais plutôt et surtout d’avoir introduit depuis un demi-siècle, de façon toute mariale, au bonheur d’écouter la Parole de Dieu pour la garder c’est-à-dire pour la transmettre.
1. « Heureux ceux qui écoutent ». Quelle grâce, pour des générations de jeunes d’avoir été invités et formés à une attitude d’écoute, de disponibilité intellectuelle, d’ouverture de la profondeur de l’être à des vérités qui les dépassent et qui les ouvrent à plus grand qu’eux-mêmes ! La grâce d’écouter, c’est aussi la grâce d’avoir des personnes à écouter, des enseignants, des maîtres, dont la richesse et la justesse de l’enseignement dilatent les intelligences et les cœurs. Cette écoute de l’étude et de la formation dispose à l’écoute par excellence, à laquelle ne cesse de nous inviter le Livre du Deutéronome, qui demeure le cœur de la prière quotidienne de nos frères et sœurs de la Première Alliance : « Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6, 4). Le bonheur d’écouter en disciples, d’avoir des maîtres, s’accomplit dans le bonheur d’écouter le Maître intérieur, d’écouter le Seigneur lui-même.
2. « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu ». Cette Parole retentit dans des mots humains. Quelle grâce de pouvoir connaître et aimer les mots – latins, grecs, français, anglais, allemands ou espagnols – les mots de la littérature et de la philosophie, les mots qui permettent de s’exprimer et d’élaborer un discernement construit et assuré ! Quelle grâce de pouvoir, au- delà des mots eux-mêmes, entrer dans les réalités vers lesquelles ils orientent, élaborer une véritable réflexion ! De même que l’écoute la plus profonde, c’est l’écoute du Maître intérieur, de même, tous nos mots humains renvoient au Verbe, au Verbe éternel, au Verbe de vie, au Fils unique en personne, en qui tout fut créé et par qui tout ne cesse d’être recréé. Cette Parole, ce Verbe, nous libère, nous l’avons entendu de la bouche de saint Paul dans la première lecture : il nous rassemble dans cette fraternité où « il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous [ne font] plus qu’un dans le Christ Jésus ». Cette fraternité selon le Verbe est le signe et l’ébauche du Royaume qui vient.
3. « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ! ». En classes préparatoires, on étudie non seulement les lettres et la philosophie mais aussi l’histoire. Comme il est bon de garder dans notre mémoire personnelle et collective ce qui nous a construits, ce qui a préparé ce que nous avons à accomplir ! Comme il est bon d’entrer aussi et davantage encore dans l’expérience biblique de la mémoire ! Une des expressions les plus graves du péché, c’est l’oubli, l’oubli de ce que Dieu a fait pour nous, l’oubli de notre origine et de notre vocation divines. Faire mémoire, « garder », n’enferme pas dans le passé. L’Ecriture nous apprend au contraire à faire mémoire pour vivre intensément le présent et ouvrir le chemin de l’avenir. C’est le beau paradoxe de la transmission, de la tradition, chrétienne : garder la Parole en la transmettant, garder la Parole avec d’autant plus de fidélité qu’elle est transmise de manière créative. Voilà pourquoi nous ne sommes pas réunis aujourd’hui dans la nostalgie, pour clore un cycle de cinquante ans, aussi beau et prestigieux soit-il. Nous faisons mémoire des merveilles de Dieu pour continuer à accomplir ses œuvres de manière sans cesse renouvelée.
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« Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ! » L’incarnation de cette béatitude durant cinquante années de Classes préparatoires à Sainte-Marie de Neuilly suscite aujourd’hui notre action de grâces. Les béatitudes sont nombreuses dans les Ecritures, dans les psaumes et dans les évangiles en particulier et pas seulement au début du Discours sur la montagne. Toutes se répondent les unes aux autres et orientent vers la dernière, celle qui retentit juste avant la communion en chaque eucharistie, l’action de grâce par excellence : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau ! » (Ap 19, 9). Voilà qui manifeste que les béatitudes sont toujours une invitation à aller de l’avant. Elles nous disposent à la vie éternelle où tout ce que nous cherchons ici-bas sera dévoilé dans la pleine lumière de la Résurrection. Tant que nous sommes en chemin, elles chantent le bonheur de l’avenir en train de se construire avec la grâce de Dieu. Beni soit Dieu pour l’œuvre béatifiante qu’il a accomplie pour vous et par vous ! Béni soit Dieu pour cette béatitude de l’avenir qu’il offre et confie à nouveau à votre communauté éducative, comme une espérance, une grâce et une responsabilité !