Perdican aime Camille, Camille aime Perdican. Aucun destin fatal ici pour se mettre en
travers de leur route, aucune volonté contraire de parents récalcitrants ; l’argent, la culture,
le diplôme, les dons d’une nature prodigue, tout leur est favorable. Et pourtant Camille
n’aimera pas Perdican, et Perdican n’aimera pas Camille. Qu’est-ce donc qui vient les
empêcher d’accéder à leur désir sinon eux-mêmes en somme et leurs propres
contradictions ?
Acteurs aussi bien que pantins de leur éducation, victimes des conventions sociales, des
intérêts trop « bien compris » de leurs parents et leurs tuteurs, mais aussi de leurs humeurs,
de leur fausse pudeur, de leurs opinions et des jeux d’ombres de leurs idées sur les choses,
ces deux-là vont détruire un bonheur qui leur ouvrait les bras, en s’abîmant dans les caprices
de leur orgueil.
Tragédie légère mais non moins tragique pour autant. Musset clame ici que l’amour qui
promet de nous illuminer menace aussi de nous défigurer et de faire de nous des lâches et
même des meurtriers, qu’on meurt d’aimer en somme, mais plus encore de ne le pas
pouvoir, et qu’à tout prendre, l’amour est bien la seule chose qu’il s’agirait de se disposer à
vivre vraiment, l’esprit libre de tout ce qui, si stupidement et brutalement, l’entrave. Qu’il
faut enfin quitter les oripeaux d’une sociabilité oiseuse pour se livrer à ce que tout coeur
vivant et qui ne se ment pas à lui-même cherche ardemment tant qu’il est bel et bien vivant.
Et que le pouvoir nous est donné, en même temps que la responsabilité, d’une vie
authentique.
De la jeunesse du XIXe siècle à celle, avide de liberté, des années 50, ce qu’on entend ici de
l’amour est de toujours et pour toujours.

Matthieu GIROUX